Depuis que mon père était professeur à la Sorbonne, la direction recevait diverses plaintes d’élèves et de parents d’élèves. Un cours sur deux, il insultait Dieu et les trois religions monothéistes. Le responsable du département le suppliait d’arrêter, de garder ses insultes pour les discussions au café ou ses articles, mais dans l’enceinte de son université, ce n’était pas possible. Il lui a même adressé trois avertissements mais mon père ne pouvait pas s’arrêter, c’était plus fort que lui, il traitait même le Prophète de partouzeur, « c’est la vérité alors je ne peux pas m’empêcher de la dire » disait-il au responsable. Il s’est fait débaucher.
Comme un adolescent, mon père tire une grande fierté de s’être fait renvoyer de l’université. Bien avant le début de nos enregistrements, il m’avait raconté cette anecdote plus d’une dizaine de fois. Je m’étais même inspiré de son histoire dans mon premier roman, Le Nez juif.
Une fois imprimé, j’avais glissé un exemplaire du livre dans la boîte aux lettres de mes parents. Les nuits d’après, mon père ne dormait plus. Je me souviens encore de l’appel de ma mère : « Sabyl, ton père a la nausée. Il vomit partout depuis quelques jours, il ne se rend plus au bureau, tu dois faire quelque chose ! » Mon père était persuadé que des islamistes allaient le reconnaître dans le personnage et le tuer en pleine rue. Que j’allais mourir aussi. Il n’avait rien trouvé d’autre à faire qu’appeler mes éditeurs et, sans me prévenir, leur proposer de payer un nouveau tirage des trois mille exemplaires pour supprimer la phrase autour du Prophète, suggestion que mes éditeurs avaient évidemment déclinée, essayant de rassurer mon père tant bien que mal.